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Vous avez été violé ? Écrivez.
Vous êtes un enfant clandestin, vous avez raté
l'adoption de votre progéniture, vous avez subi
un inceste, une injustice, vous vivez sous la menace d'une
grave maladie, vous allez mourir, vous vous en êtes
sortis ? Écrivez.
Vous avez des comptes à régler ? Écrivez.
Votre mère ne vous aimait pas, votre père
est parti avec son meilleur ami, votre mari a succombé
aux charmes d'une chanteuse de charme, votre épouse
vous a préféré un prêtre défroqué,
votre fils vous a spolié, votre fille vous a trahi,
votre grand-père aimait les petites
filles ? Écrivez,
écrivez, écrivez.
Surtout au premier degré. Psychanalysez-vous à
gros traits de plume. Videz votre miel, votre fiel, votre
bile et votre rage dans l'encrier. Couchez votre colère,
votre amertume, votre douleur sur le papier blanc rédempteur.
Écrivez, vous dis-je. Il en restera toujours quelque
chose, sur la liste des best-seller's, pour peu que votre
histoire soit bien triste, bien prenante, bien édifiante.
Pour peu que vos petits malheurs trouvent une oreille
bienveillante à la télévision, une
écoute compatissante dans les médias, un
engouement dans le public qui ne demande qu'à regarder.
Voyez-moi ça.
La mode est la psythérature, à l'exhibécriture,
à la biobobologie.
Comment ça, vous n'avez rien à dire ? Pas
la moindre petite violence, pas le moindre tabou brisé,
pas le minimum syndical du malheur de vivre ? Comme je
vous plains. Mais vos voisins, votre famille, vos proches,
eux, ont sûrement des secrets cachés... Écrivez ! |