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Littérature |
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Châteaulin,
le…...... Ma grand-mère est morte. Je
ne me rappelle pas la date. Ma mère sait. Ça
fait un certain temps, quelques années…
Ma tante sait : en 1980. Mon grand-père, lui,
est mort depuis longtemps, je n'étais même
pas née. Tuberculose. Né en 1894,
décédé
en 1942 : ma tante a une bonne mémoire.
Il était couvreur et... braconnier
pour survivre quand on est pauvre
! Autrefois, comme aujourd’hui, les gens
étaient obligés d'user du
«
système D » .
Une épicerie bistrot de campagne, quelques lopins de terre,
une jument de labour, deux vaches, un cochon, une dizaine
de
poules et de poulets… |
Un plus pour une famille
de quatre personnes : Marie, la mère qui
s’était mariée à 19 ans,
Yves, le père 10 ans plus âgé,
et les deux filles, Jeannette et
Anna. Presque du même âge,
vrais garçons
manqués, grimpant aux arbres… des rapides…
deux casse-cou !
C'est drôle, je me souviens
du grand-père… pourtant je ne l'ai
pas connu.
J'ai l'impression de l'avoir vu en vrai,
en chair et en os... J’ai des visions ! |
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Marie, la grand-mère, vient
de mourir des « suites d’une longue
maladie ». Avec ma tante, direction le cimetière d’Édern, pour récupérer
les « restes mortels » du grand-père…
Sur l'autorisation administrative signée
par le Maire, il est écrit : « Autorisation
d'exhumer les restes mortels de Monsieur Yves Courtay
». Le croque-mort nous attend. Cimetière d'Édern... le même que celui de Jean-Edern
Hallier, l'écrivain parisien-breton passionné,
provocateur, fervent de polémique. |
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Tout en haut du cimetière,
dans la petite cabane à outils qui sert de
débarras, posé à terre, un
grand sac en plastique « Fertilisant à
base de nitrate ».
C'est écrit dessus,
en vert, marron et gris ! Un sac de récupération…
terreux, sale... Les mairies de campagne n’ont
pas de budget pour déposer d’anciens
« restes mortels exhumés » dans
des sacs poubelle propres et neufs !!!
Dans le vieux
sac d’engrais sont rassemblés les os
de pépé, ses ossements (s’impose à mon esprit une association d’idée
avec le jeu d'osselets de mon enfance).
En vrac,
fémurs, côtes, vertèbres, os
iliaque, enfin tout (en principe, car on n’a
pas compté !) et même davantage…
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Le fosseyeur nous explique : – Il y a un problème !
Je regarde ma tante d’un air
ahuri tandis que le gardien du cimetière se penche, plonge la main dans le sac et en extrait
un premier crâne, puis un second... et les
dépose sans gêne sur la vieille table
à tout faire (et même probablement
son casse-croûte de 10 h) ! |
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– Vous
comprenez… avant… le cimetière
d’Édern entourait l'église au milieu du Bourg. Alors... après la guerre
39-45, on a déménagé le cimetière parce qu'il n'y avait plus de place et ce n'était
plus la mode… Dans le « carré
des indigents » où était enterré
votre grand-père,
eh ! ben... certains
ossements ont été mélangés.
Pour certaines tombes on ne sait plus très
bien qui est qui. Donc dans la fosse du grand-père,
j'ai trouvé deux crânes. Il y a eu
des parachutistes américains ou anglais qui ont été tués et enterrés
ici à la va-vite pendant la guerre. Un
de ces crânes-ci doit appartenir à
un de ces gars-là.
Ben dis donc ! Ça alors !
Il n’y a qu’à moi que ça
arrive des trucs pareils ! Du coin de l’œil,
j’observe ma tante… elle rit jaune…
elle grimace…
je déclenche un fou rire,
j'ai un mal fou à me contenir, ma tante aussi.
Sacrilège ! Rire dans un cimetière,
fou rire face aux vieux os blanchis
d'un mort !
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Heureusement pour moi, aucune fidèle paroissienne
ne fut témoin de cette scène ubuesque…
j’imagine parfaitement les bigotes nous menaçant
des foudres de l’enfer !
– Bon
! Alors… lequel vous préférez
?
– Ben… je ne sais pas… comment
savoir quel crâne est celui du grand-père ?
– Celui-ci
a une trace… là… il doit s'agir
d'un impact de balle… mais ce n’est
pas certain…
– C'est
délicat… Et si on se trompe ?
Je scrute le visage de ma tante qui n’en mène pas large…
– Je
crois que le mieux… c'est de prendre les deux…
– Vous
prenez les deux alors ?
On se croirait
à la foire, au marché, dans un souk
en train de marchander. Incapables
de différencier,
de choisir, on s’approprie les deux ! Deux
crânes pour un seul corps !
Que dirait pépé ? Que dirait mémé, ma mère,
les gens ? Et puis d’abord qu’est-ce
qui nous prouve que ce sont bien les os du grand-père,
inhumé à l’époque dans
le « carré des indigents » ? |
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Concertation
avec ma tante :
– Il
ne faudra le dire à personne.C’est décidé,
ce sera notre secret. Trop choquant de raconter
cette histoire invraisemblable, incroyable mais
vraie ! Il va falloir mentir par abstention. En attendant,
je suis « morte de rire » !
– Vous
avez apporté la « boîte »
?
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– Oui,
bien sûr. Elle est dans le coffre de ma
voiture (une vieille 4L Renault, gris délavé,
comme
des yeux bleus qui auraient trop pleuré…).
– Amenez
la « boîte » ici pour y mettre
les ossements.
Aussitôt
dit, aussitôt fait.
Retour à
la maison avec ma tante et, à l’arrière
de la voiture, les « restes mortels »
dans
la « boîte » en bois, genre
cercueil miniature en bois brut de brut destiné
à être réinhumé
le lendemain,
à Châteaulin.
Rires nerveux,
histériques, tout du long de la route. Humour
macabre ! |
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Depuis ce jour,
au cimetière de Châteaulin, en pays
Rouzig, dans la tombe de ma grand-mère –
une « borledenn » du pays Glazig –
gisent les restes mortels de son mari (mon grand-père)
et le crâne d'un étranger, un strict
inconnu !
Peut-être
un anglais, un américain… La tête de mort
d’un « allié »
dissociée du reste de son squelette.
Dissocié
de son pays, de ceux qui l’aimaient, qu’il
aimait...
Égaré ici, en Bretagne,
à la pointe du Finistère. Perdu. Oublié.
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Transporté de cimetière en cimetière,
du pays Glazig au pays Rouzig, en attendant de terminer
sa course au crématorium avec les « restes mortels » de notre famille afin de
se métamorphoser en cendres pour jeter dans
la mer.
Ainsi, pas de risque de se tromper, plus
de trace, aucun « reste mortel »…
Et puis, les cimetières c’est démodé
: ce n’est pas hygiénique, ça
ne respecte pas l’environnement des vivants
!
Un jour, il y aura une loi pour interdire d'enterrer
les morts, rendant la crémation obligatoire
!
Peut-être
un anglais, un américain…
Sans nom, soldat inconnu sans triomphe, tombé
au champ d’horreur,
il n’est rien, personne
!
Mais il demeure en ma mémoire. C’est
mieux que rien ! |
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Dernière
mise à jour
lundi 29.01.2018 11:37
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